Le latin, sous l’ère de la réforme

les Sabines arrtant le combat entre romains et les sabins. 1799. Musée du Louvre

 

Les défenseurs de la réforme du collège n’ont eu de cesse de le proclamer : le latin sortirait magnifié de la refonte des programmes. Jusqu’alors proposé à un petit contingent d’élèves aristocrates, il serait ouvert à l’ensemble des élèves de cinquième, qui découvrirait ainsi la richesse des langues antiques.

Plutôt que de me perdre en textes de lois et en polémiques inutiles, j’aimerais dresser un état des lieux du latin dans mon collège.

Et pour ceux qui ne me connaîtraient pas encore, je me présente : Monsieur Samovar, enseignant dans un collège de REP +, détenteur d’un CAPES de lettres modernes. Du latin, j’en ai fait jusqu’en troisième, et du grec, un peu en fac.

Quand je suis arrivé dans mon collège actuel, le poste d’enseignant de lettres classiques n’existait déjà plus et c’était une collègue de lettres modernes absolument géniale qui avait pris sur elle d’enseigner cette matière. À son départ, elle m’a demandé si je voulais bien reprendre l’option. Le défi intellectuel me plaisait et, surtout, je vis chaque disparition d’un domaine de connaissance comme l’extinction d’une petite bougie dans le noir. Quelque chose de fugace et de très triste. Alors j’ai repris la petite bougie et pendant les vacances de 2014-2015, j’ai ouvert des manuels et des cahiers. J’ai fait des exercices. Je suis allé de classes en classes pour expliquer que, le latin, c’est chouette. Bilan : 28 élèves dans la classe de latin, soit 1/5e des cinquièmes qui avait choisi d’étudier la langue de Catulle et de Ciceron. J’ai tempêté pour garder E. dans mes cours, E. qui était une quiche en grammaire française mais repérait un ablatif absolu les dix doigts dans le nez (ce qui exige des dispositions, convenons-en). E. qui a enfin compris la structure d’une phrase, tandis que O. s’éclatait à rédiger la généalogie de chaque dieu adoré dans l’Empire.

Arrive l’année 2016, année de la réforme. Le latin ne dispose plus désormais d’horaire dédié. Il doit forcément être enseigné à tous les élèves de 5ème, en lien avec une autre matière, sous la forme d’un EPI, un Enseignement Pratique Interdisciplinaire. Cela signifie qu’un collègue doit accepter de créer un projet avec un professeur de latin tout en poursuivant son programme de connaissances propres. Car pas une heure supplémentaire n’est attribuée pour ces projets.

Non. Je ne dois pas trouver un collègue. Mais cinq.

Car mon bahut se compose en effet de cinq cinquièmes. Cette année, je devrai donc trouver cinq collègues pour « enseigner » le latin une heure par semaine pendant… quoi… deux mois par classe ? Qu’aurais-je le temps de transmettre, en deux mois ? Je pourrais en arts plastiques, raconter la fondation de Rome que les élèves pourraient représenter sous forme de fresque. Ce sera géniale, parce que M., la prof d’arts plastiques est géniale.  Mais qu’en est-il du latin en tant que langue ? De sa richesse, de sa descendance foisonnante, des subtils rapports qu’elle entretient avec le français ? Qu’auront retenu les élèves hormis deux trois détails sympatoches ?

Je pourrais, en histoire, étudier Rome en tant que ville, c’est au programme de géographie, la ville. Pas de bol, l’Antiquité, c’est en sixième. Et de la même façon, je pourrais rapidement évoquer les recoins secrets de Rome. Mais pas ses grandes figures et ses fondations d’orgueil et de sang. Pas le temps.

« Vous ne comprenez pas », m’a dit ma Principale l’année dernière « le but de la réforme n’est pas de faire de mini-profs de français mais de plonger les élèves dans un bain culturel. »

Ce que je comprends en revanche, c’est ce mépris sous-jacent pour la « vieille langue à déclinaisons ». À bas le nominatif et l’accusatif, ces notions poussiéreuses et chiantes. À bas ce langage périmé, s’il ne peut s’adapter, c’est qu’il méritait de disparaître. L’ère est aux savoirs vivaces, rapides, prédateurs. Aux compétences utiles. Plus de place pour les vieilles dames que l’âge engourdit.

Si des élèves veulent poursuivre le latin l’année prochaine, ils pourront bénéficier de « vrais » cours, en 4ème et en 3ème. Mais comment convaincre les mômes de poursuivre un enseignement dont ils auront, au mieux, perçu quelques bribes ?

« Vous pourriez proposer un voyage à Rome. » murmure à mi-voix l’inspectrice aux yeux bleus poussière avec qui je travaille désespérément depuis trois quarts d’heures pour bidouiller des projets.

Nous y voilà. Négocier la survie de la matière contre une sortie. Travail contre distraction en sorte. Rarement appât m’a semblé plus triste. La femme semble avoir poursuivit mon raisonnement. Elle a un sourire las.

« On est vraiment en train d’essayer de le sauver, là, le latin, hein ? »

Elle est inspectrice de SVT.

Voilà où en est le latin. Voilà les lambeaux auxquels je m’accroche. Voilà ce que la réforme du collège a fait à une matière complexe, exigeante, peu utile. Qui ne nécessitait qu’un brin d’idéal et de dinguerie pour offrir ses trésors.

Je suis enseignant de lettres modernes, je ne manque pas d’occupations. Aujourd’hui, je ne m’accroche à ces quelques heures de cours que par esprit de contradiction. Et en espérant qu’une intervention providentielle rende au latin et à ses profs un peu de crédit et de confiance.

Après tout, c’est la langue des légendes et des exploits. Espérons.

5 réflexions sur “Le latin, sous l’ère de la réforme

  1. Hamy

    Bravo pour ton esprit de contradiction et pour ton engagement en faveur de nos pauvres Lettres classiques. Là-haut, tout là-haut dans les hautes sphères du pouvoir, les Modernes ont vaincu les Classiques (comme le rappelle Stéphane Ratti dans son coup de gueule intitulé A en perdre son latin, aux éd. univ. de Dijon), mais sur le terrain il y a beaucoup de collègues de lettres qui ont compris ce qu’il y a de moderne dans les classiques, et inversement. Nous sommes en phase de résistance et de repli. Espérons des jours meilleurs !

  2. NVB

    En fait si, le latin c’est très utile. Une fois que tu as fait du latin, aucune langue européenne ne te résiste 😉
    Après Tacite ou Sénèque, Kierkegaard en VO c’est de la blague.
    Et ça donne même des facilités pour les langues exotiques (= non-européennes).
    En fait on en bave tellement en latin qu’après tout semble facile.

    Bon courage !

  3. Meghaduta

    J’ai été diplômée il y a maintenant presque deux mois de l’enseignement secondaire belge (l’équivalent du bac) après 6 ans de latin et 4 de grec.

    Les langues « mortes » (qualificatif étonnant lorsqu’on y réfléchit à deux fois), je ne les ai pas vraiment choisies par envie, au départ. Disons que je n’étais pas vraiment tentée par les maths, les sciences, l’anglais ou les autres options qu’on me proposait.

    Le latin, c’est une matière que j’ai appris à aimer grâce à deux professeurs passionnés et passionnants. Le grec a suivi le même chemin un peu plus tard. Lorsque je suis arrivée en 5ème (en 1ere au lycée, pour convertir) j’étais tellement bercée par cette culture qu’on m’avait transmise que je me suis rapidement intéressée à d’autres langues anciennes (le sanskrit, le hittite et le persan) dans un premier temps, et finalement à quelques langues modernes (l’allemand, l’italien et le russe).

    Plus qu’un simple cours, le latin et le grec ont été pour moi un véritable tremplin dans la vie. Et cette passion qui me pousse vers le haut au quotidien, je ne l’oublie pas, je la dois en grande partie à ces deux enseignants.

    Je voulais simplement écrire ce petit commentaire pour te dire qu’il y a de ces professeurs qui, avec trois fois rien, laissent une emprunte impérissable dans l’esprit de leurs élèves. Des professeurs qui transmettent leurs passions, leur culture, leur sagesse…

    J’ai eu la chance de suivre les cours de certains d’entre eux, tout comme j’en suis sûre tes élèves ont la chance de suivre tes cours.

    Et tu sais quoi ? Moi, dans cinq ans, je serai professeur.

    Et même si je sais que ça ne sera pas toujours facile, même si je sais que le système est pourri, les élèves casse-couilles et le travail décourageant par moment….

    Je serai professeur. Parce que dans ma vie j’ai eu la chance d’avoir des Monsieur Samovar pour me montrer l’exemple !

    Courage… Ad astra per aspera 😉

  4. Merci ! Votre témoignage est poignant et mon coeur de prof de lettres classiques en lambeaux ! Eh oui, cela fait déjà quelques temps que je perds des forces…mais que les élèves restent notre joie, quels qu’ils soient ! Même les casses pieds nous touchent et on essaye de les tirer le plus haut possible, malgré la fatigue et le découragement ! Rien de meilleur que de voir les sourires heureux des latinistes et hellenistes qui ont réussi à traduire de façon satisfaisante un passage difficile ! Alors, continuons notre travail sans faiblir le plus longtemps possible ! La bataille n’est pas encore finie, nous sommes là !!!

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